« Révolutionnaires. » C'est le qualificatif utilisé par Pesticide Action Network (PAN Europe), réseau d'ONG européennes qui promeut l'adoption de solutions alternatives aux pesticides, à propos des deux décisions prononcées, le 25 avril, par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Ces décisions sont rendues sur des renvois préjudiciels de juridictions néerlandaises qui avaient demandé à cette dernière d'interpréter les articles 4, 29 et 36 du règlement européen du 21 octobre 2009 qui régissent, respectivement, les critères d'approbation des substances actives, les conditions d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques et la procédure d'examen par les États membres en vue de cette autorisation. Ces demandes ont été présentées dans le cadre de contentieux opposant PAN Europe au Collège pour l'autorisation des produits phytopharmaceutiques et biocides (CTGB), un organisme administratif dépendant du gouvernement néerlandais, et qui portaient sur la réautorisation de trois produits : le Closer (sulfoxaflor), le Dagonis (difénoconazole) et le Pitcher (fludioxonil).
Prendre en compte les perturbateurs endocriniens dans les produits
Selon la première décision de la Cour, l'autorité compétente d'un État membre chargée d'évaluer une demande d'AMM d'un produit doit prendre en compte « les effets indésirables que les propriétés perturbant le système endocrinien d'une substance active contenue dans ledit produit sont susceptibles de causer sur l'être humain, compte tenu des connaissances scientifiques ou techniques pertinentes et fiables qui sont disponibles au moment de cet examen ».
« Données scientifiques et techniques les plus fiables »
Dans leur deuxième décision, les juges communautaires apportent plusieurs précisions sur l'interprétation de l'article 36 du règlement. En premier lieu, l'État membre qui prend une décision concernant l'AMM d'un produit dans son pays peut s'écarter de l'évaluation de risques réalisée par l'État membre ayant examiné la demande initiale, « notamment lorsqu'il dispose des données scientifiques ou techniques les plus fiables, dont ce dernier État membre n'a pas tenu compte lors de la préparation de son évaluation, qui identifient un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement ».
En second lieu, s'il considère que l'évaluation des risques réalisée par l'État ayant examiné la demande initiale est « insuffisamment motivée au regard de ses préoccupations relatives à la santé humaine ou animale ou à l'environnement, en lien avec des caractéristiques environnementales ou agricoles particulières à son territoire », l'État membre chargé de prendre une décision sur l'AMM sur son territoire n'est pas tenu d'associer ce dernier à la réalisation d'une nouvelle évaluation.
Enfin, la Cour affirme qu'il peut être invoqué devant les autorités ou les juridictions de l'État qui prend une décision d'AMM sur son territoire « les données scientifiques ou techniques disponibles les plus fiables » en vue d'établir que l'évaluation scientifique des risques réalisée par l'État membre examinant la demande initiale est insuffisamment motivée.
« En résumé, l'arrêt de la CJUE semble donner à l'autorité nationale d'évaluation une plus grande marge de manœuvre pour s'écarter de l'État membre évaluateur de l'UE », résume le Collège néerlandais pour l'autorisation des produits phytopharmaceutiques et biocides. « La Cour précise que chaque État membre est responsable de ses autorisations nationales et ne peut pas se fier aveuglément à l'évaluation scientifique des autres États membres », confirme PAN Europe. « Ces décisions, ajoute l'ONG, mettent fin à la pratique courante consistant à ignorer les connaissances scientifiques récentes et à donner la priorité aux études industrielles vieilles de plusieurs décennies ».
Le principe de précaution prime
L'arrêt fait également référence à un point important de la décision du 19 janvier 2023 sur les dérogations pour les pesticides interdits, relève PAN Europe. Selon ce point, « la protection de la santé humaine et animale et de l'environnement "doivent primer" sur l'amélioration des cultures végétales » lorsque des AMM de produits phytopharmaceutiques sont accordées.
« La Cour rappelle également aux autorités l'important principe de précaution », souligne PAN Europe. « Les dispositions de ce règlement se fondent (…), sur le principe de précaution, et ce afin d'éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine », indique en effet la décision.
« Le principe de précaution, mis en balance ici avec celui de sécurité juridique, semble primer pour la Cour car il fonde le règlement », commente sur X Dorian Guinard. Selon l'enseignant-chercheur en droit public à l'université Grenoble-Alpes, les États peuvent donc interdire un produit s'il existe des effets inacceptables sur l'environnement ou la santé humaine, y compris en l'absence d'alternative. Ce qui va à l'encontre du discours du gouvernement français, selon lequel il ne peut y avoir d'interdiction sans solution.